Saturday, October 25, 2025

CHAIRE MUSÉALE AUDAIN • La mémoire à l’œuvre : la Chaire muséale Audain et le souffle vivant du Refus global

Maurice Perron, Seconde Exposition des automatistes au 75, rue Sherbrooke Ouest, chez les Gauvreau, février 1947. Négatif, Collection MNBAQ, Fonds Maurice Perron (P35.S7.Pb) © Avec l’autorisation de Line -Sylvie Perron.
 

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La mémoire à l’œuvre : la Chaire muséale Audain et le souffle vivant du Refus global

Il est des gestes qui, à travers le temps, refusent de s’éteindre. Des gestes fondateurs, qui ne cessent de renaître sous de nouvelles formes, dans de nouveaux langages. Le 14 octobre 2025, aux Archives nationales du Québec à Montréal, c’est un tel geste qui s’est rejoué : celui du Refus global, transfiguré en un instrument d’avenir — la Chaire muséale Audain.

Loin d’une commémoration académique, cette chaire marque un acte de transmission active, un pari sur la durée et la pertinence du mouvement automatiste dans un Québec qui, tout en célébrant ses pionniers, cherche encore à comprendre comment l’art peut être force de libération.

Françoise Sullivan, danseuse, chorégraphe et artiste visuelle la dernière signataire du Refus Global encore en vie reçoit une longue ovation.

Un legs vivant : de l’histoire à la recherche

Créée grâce à un don fondateur de 2 millions de dollars du mécène et collectionneur Michael J. Audain, en collaboration avec la Fondation du MNBAQ, la Chaire muséale Audain s’impose comme une première au Québec. Elle n’est pas une simple structure de recherche : elle est un laboratoire muséal, un lieu d’articulation entre mémoire, diffusion et innovation.

Dans le sillage du centenaire de Jean Paul Riopelle et du 75ᵉ anniversaire du manifeste du Refus global (1948), la chaire se donne pour mission de pérenniser l’héritage des Automatistes — ces artistes qui ont su faire du geste créateur une insurrection intérieure, et du Québec une scène d’émancipation esthétique et spirituelle.

Son titulaire, Guillaume Savard, directeur des contenus de l’Espace Riopelle, y voit un instrument de rayonnement international :

« En reconnaissance des valeurs d’émancipation, de créativité et de liberté que les Automatistes promulguaient, la Chaire aura le devoir de favoriser le plein rayonnement et la plus large diffusion possible de leur legs. »

Ce legs, c’est celui d’une modernité qui, au lieu de se figer dans les manuels, continue d’agir dans la conscience collective.

Une chaire en mouvement : réseau, recherche, résonance

L’originalité de la Chaire Audain tient à son modèle dématérialisé et partenarial. Si elle est ancrée au MNBAQ, elle se déploie en collaboration étroite avec les grands musées du Québec et du Canada, ainsi qu’avec plusieurs universités. Ce décentrement méthodologique fait écho à l’esprit même du Refus global : refuser les hiérarchies figées, les centralisations stériles, pour ouvrir l’art à des circulations libres et transversales.

La Chaire deviendra ainsi un pôle de référence mondial pour l’étude et la diffusion de l’héritage automatiste. Parmi ses premiers chantiers, citons :

  • L’organisation d’un Symposium international sur Jean Paul Riopelle et les Automatistes (automne 2026) ;

  • La mise en valeur des artistes femmes du mouvement, dont Marcelle Ferron, dont la lumière demeure une figure d’avant-garde ;

  • L’aménagement d’une salle permanente dédiée aux Automatistes dans le futur Espace Riopelle ;

  • L’intégration d’œuvres automatistes dans des expositions à portée internationale, où leurs affinités formelles et spirituelles pourront dialoguer avec d’autres modernités ;

  • Le développement de programmes de recherche et de diffusion avec des universités et institutions culturelles d’ici et d’ailleurs.

Ce programme ambitieux ne vise pas seulement la conservation : il engage une réécriture du récit moderniste québécois, replacé dans une perspective internationale et transdisciplinaire.

Les Automatistes : une révolte toujours en acte

Pour comprendre la portée symbolique de cette chaire, il faut revenir à l’élan originel du mouvement automatiste.
Le Refus global, publié le 9 août 1948, fut plus qu’un manifeste : un appel à la désobéissance poétique. Quinze signataires, autour de Paul-Émile Borduas, proclamaient le refus d’un Québec alors figé dans le dogme religieux et l’autorité morale. « Faire table rase du passé », disaient-ils, non par négation, mais par désir de libération.

Cette quête d’émancipation, de subjectivité et de spontanéité continue d’habiter l’imaginaire québécois.
De Claude Gauvreau, poète des Jappements à la lune, à Françoise Sullivan, chorégraphe et sculptrice, les Automatistes ont fait du geste créateur un acte total, liant le corps, le verbe et la peinture dans un même cri de liberté.

Aujourd’hui, la Chaire Audain ne cherche pas à muséifier cette énergie — mais à la réactiver.
À travers la recherche, la médiation et la diffusion, elle pose une question essentielle : comment l’esprit du Refus global résonne-t-il encore dans les pratiques artistiques contemporaines ?

Michael J. Audain a prononcé un discours éclairant dans lequel il a évoqué le sort difficile des artistes québécois, encore méprisés pour la plupart d’ailleurs. Il nous a parlé de son propre militantisme social, qu’il reconnaît dans le Refus global.

Le mécène et la mémoire : Michael J. Audain, un regard d’avenir

L’histoire culturelle se tisse aussi des gestes de ceux qui, loin des projecteurs, rendent possible le travail de mémoire.
Le philanthrope Michael J. Audain, président de la Fondation Audain, est l’un de ces passeurs. Collectionneur passionné d’art canadien et fervent admirateur de Riopelle, il incarne un mécénat éclairé, qui comprend que l’héritage ne se conserve pas — il se cultive.

« Le legs des Automatistes doit être mieux connu, célébré et transmis », déclarait-il lors du lancement. « Cette initiative est un appel à l’action collective, à notre devoir de mémoire, à notre obligation d’en transmettre l’art et les savoirs. »

Son don fondateur ne se lit pas comme une simple contribution financière, mais comme une geste esthétique et éthique : investir dans la durée, dans la recherche, dans le dialogue entre générations. En cela, Audain rejoint à sa manière la logique même des Automatistes — celle d’un engagement pour la liberté de créer et de penser.

De la mémoire au devenir : un modèle muséal pour le XXIᵉ siècle

Dans un monde où la culture est souvent réduite à l’événementiel, la Chaire muséale Audain propose une autre temporalité : celle du savoir en profondeur, de la mémoire active.
Elle inscrit le MNBAQ dans une posture nouvelle — celle d’un musée-laboratoire, où la recherche nourrit la médiation, où le patrimoine devient matière à réflexion et à invention.

En articulant muséologie, historiographie et création contemporaine, la Chaire Audain ouvre un champ inédit : celui d’une muséologie critique, capable d’interroger ses propres récits. Ce faisant, elle rejoint la vision d’un Québec qui reconnaît enfin que ses modernités — de Borduas à Ferron, de Riopelle à Sullivan — sont des foyers de pensée mondiale.

La table ronde animée par Sophie Fouron avec Jean-Luc Murray, directeur général du Musée national des beaux-arts du Québec; Manon Gauthier, directrice générale de la Fondation Audin et commissaire des célébrations du centenaire de Jean-Paul Riopelle: Rose-Marie Arbour, historienne de l'art; Yvon Bergeron, titulaire de la Chaire de recherche UQAM sur la gouvernance des musées et le droit de la culture; Simon Blais, galeriste; Ray Ellenwood, professeur émérite de l'Université York, à Toronto; John R. Porter, PhD, muséologue, historien de l'art et directeur honoraire du Musée national des beaux-arts au Québec; Guillaume Savard, titulaire de la Chaire muséale Audain

Un legs visionnaire en action

« Je suis persuadé que les travaux de la Chaire permettront d’accroître nos actions de diffusion et de valorisation de l’immense legs artistique des Automatistes », affirmait le ministre Mathieu Lacombe lors de l’inauguration.
À travers cette chaire, c’est tout un devoir de mémoire qui prend corps — mais aussi un devoir de création. Car la meilleure façon d’honorer les Automatistes, c’est encore de continuer à refuser : refuser la complaisance, la banalisation, le silence.

La Chaire muséale Audain ne fige pas un passé glorieux. Elle le relance.
Elle prouve qu’un mouvement né d’un refus peut, soixante-quinze ans plus tard, se transformer en affirmation du possible — en un espace où le Québec artistique réaffirme sa vocation d’invention.

En somme, la mémoire des Automatistes devient ici matière à futur.
Et si le Refus global appelait à la liberté, la Chaire Audain en propose aujourd’hui la traduction institutionnelle : un espace où la recherche, la passion et la mémoire œuvrent de concert pour que l’art demeure ce qu’il fut toujours au Québec — un acte de présence au monde.

LENA GHIO   

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Photos © LENA GHIO2025

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