Thursday, October 30, 2025

LE MILLION DE GRÉGOIRE VIGNERON AVEC CHRISTIAN CLAVIER

Bande Annonce
 

Le retour de Grégoire Vigneron à la réalisation, quinze ans après le thriller Sans laisser de traces, s'opère avec une aisance remarquable et un sens du rythme infaillible dans cette nouvelle comédie, Le Million. Fort de son expérience de scénariste auprès de Laurent Tirard, Vigneron prouve qu'il maîtrise l'art de la mécanique comique, tissant une intrigue simple mais brillamment efficace, qui sert de tremplin à un duo d'acteurs en pleine possession de leurs moyens. L'idée de départ, à la fois banale et fertile en rebondissements, est d'une simplicité désarmante : Stan (Rayane Bensetti), jeune ingénieur bouillonnant d'ambition et de frustration, est persuadé de ne pas obtenir la promotion tant espérée. Dans un accès de colère et de désespoir, il commet l'irréparable en s'appropriant une valise contenant un million d'euros d'argent sale, dérobée au coffre de son patron, le machiavélique Richard, campé avec un délice sadique par Gilles Cohen.

La comédie prend immédiatement son envol lorsque la fuite de Stan, avec sa petite amie Marine (Claire Chust, dont le timing comique est ici très juste), est stoppée net par l'ironie du sort : un appel inattendu lui annonce que la promotion est sienne. Le vol audacieux se mue alors en une course contre la montre haletante, Stan n'ayant qu'une nuit pour réparer son erreur et replacer le million discrètement. Ce pivot narratif, qui inverse la dynamique du film, le faisant passer de la fuite au retour forcé, est une trouvaille scénaristique qui renouvelle habilement le genre du quiproquo nocturne. L'urgence impose un rythme trépidant, magnifiquement soutenu par le montage vif d'Audrey Simonaud, qui insuffle une énergie continue et électrique à la narration.


Pour accomplir cette mission impossible, Stan doit s'allier à un acolyte imprévu : Hippolyte, un serrurier dont la déontologie est élastique, interprété par un Christian Clavier en grande forme, retrouvant ici le meilleur de son registre comique. Déjà réunis dans Jamais sans mon psy, le tandem Clavier-Bensetti se révèle être l'atout maître du film. Leur alchimie, loin d'être artificielle, fonctionne à plein régime. Clavier, en Hippolyte, déploie un personnage d'une roublardise attachante, un prolétaire débrouillard et imprévisible qui contraste à merveille avec la rigidité et la panique bourgeoise de Stan. C'est dans ce décalage des tempéraments, dans cette confrontation intergénérationnelle et sociale légère, que le film puise sa sève comique la plus savoureuse. Hippolyte n'est pas seulement un facilitateur de l'intrigue ; il est le catalyseur qui oblige Stan à sortir de sa zone de confort et à se confronter à la complexité du monde.

L'une des grandes réussites de Grégoire Vigneron est d'avoir su orchestrer cette nuit de folie avec une succession de gags et de rebondissements qui, sans jamais tomber dans la lourdeur, maintiennent un niveau d'hilarité constant. Le scénario, coécrit avec Isabelle Jaquet et Julie Ponsonnet, est un mécanisme d'horlogerie où chaque complication – rencontres inopportunes, malentendus, et l'inévitable découverte que « rendre l'argent est parfois plus compliqué que le voler » – sert à la fois à faire avancer l'action et à développer la relation improbable entre les deux héros. L'énergie déployée par Rayane Bensetti, qui incarne avec une conviction sincère la détresse de l'honnête homme pris au piège de sa seule mauvaise action, s'équilibre parfaitement avec le savoir-faire comique, presque désinvolte, de Clavier.


Même les choix audacieux, comme l'utilisation de l'intelligence artificielle pour la séquence de la mère d'Hippolyte (une fusion visuelle surprenante et très "meta" entre Clavier et l'actrice Maria Verdi), loin d'être un "mauvais goût", peut être perçue comme un clin d'œil malicieux à l'absurdité moderne et à la nature même du cinéma de pure comédie, où tout est permis pour un gag ou une surprise. Il s'agit d'une prise de risque esthétique qui, si elle déroute, témoigne d'une volonté de ne pas s'enfermer dans un classicisme trop sage.

Si la photographie de Léo Lefèvre peut paraître simple au premier abord, elle installe en réalité une atmosphère nocturne idéale pour un caper film à l'européenne, offrant un écrin sobre mais efficace à la frénésie de l'action. L'essentiel du style réside dans la fluidité de la mise en scène de Vigneron, qui privilégie la clarté et le dynamisme. Le Million ne se prend pas pour ce qu'il n'est pas ; c'est une comédie populaire, généreuse dans son rire, qui assume pleinement sa mission de divertissement pour tous publics. Il parvient, en dépit de la simplicité de son propos, à délivrer une légère mais pertinente satire des mœurs du monde du travail et de la précarité morale des élites. La confrontation entre le cadre "promu" et le serrurier "système D" est un miroir savoureux de la France d'aujourd'hui.


Le film, par sa capacité à aligner les gags sur un rythme trépidant et à offrir un divertissement grand public de qualité, est une bouffée d'air frais dans le paysage de la comédie française. Il honore la tradition du film de situation en la modernisant grâce à un duo d'acteurs qui "fait des étincelles". Le Million est la preuve que la comédie à deux, lorsqu'elle est servie par un scénario bien huilé et des interprètes inspirés, reste un genre sûr. C'est une œuvre qui, loin de viser la profondeur philosophique, cherche avant tout à dérider les zygomatiques, et elle y parvient avec un succès éclatant. Il s'agit d'un divertissement hilarant, savoureux, et qui mérite amplement d'être dégusté sur grand écran.

LENA GHIO   

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