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Travailler la matière / huile sur toile / 1990-1991 |
Joyce Wieland : à cœur battant – Une rétrospective qui remue l’âme et éveille les consciences
Il est des expositions qui effleurent l’œil, caressent la mémoire. Et il en est d’autres, plus rares, qui traversent le cœur et réveillent la conscience. Joyce Wieland : À cœur battant, présentée au Musée des beaux-arts de Montréal, appartient sans conteste à cette seconde catégorie. Plus qu’un hommage, c’est un sursaut. Une piqûre de rappel nécessaire à une époque qui a trop vite oublié la portée subversive et lumineuse de cette artiste immense.
Wieland, c’est une voix. Une voix de femme, d’abord, dans un siècle qui les a trop souvent réduites au silence. Une voix d’artiste libre, féministe, écologiste, mordante et poétique, qui a osé infiltrer les langages dominants – ceux du cinéma, de la peinture, du textile, de la satire politique – pour mieux les renverser de l’intérieur. En redonnant vie à plus de cent œuvres protéiformes, cette rétrospective ravive le feu d’une créatrice qui a fait de la tendresse une arme et de l’humour, un scalpel.
L'exposition aurait pu, sans peine, verser dans la nostalgie polie ou l'hommage consensuel. Mais non. Malgré quelques manques regrettables – l'absence de certains films clés, des prises de position édulcorées – elle réussit l'essentiel : nous rappeler que l’art peut être plus qu’un miroir, qu’il peut être un tremblement. À travers « La fibre politique », section aussi audacieuse que poignante, Wieland revient hanter le présent. Elle parle du Canada, oui, mais surtout de tous les lieux en nous qui luttent encore pour se libérer. Elle évoque l’arrogance impériale, la violence symbolique du nationalisme, l’utopie d’un Nord qui s’appartient, les visages oubliés de la révolte.
Comment ne pas être ému en découvrant ces œuvres textiles, cousues comme des cris d’amour et de colère à la fois ? Comment ne pas frissonner devant cette vidéo de Pierre Vallières, tronquée mais toujours vibrante, où la mémoire militante affleure malgré les silences imposés ? Joyce Wieland ne choisissait pas entre l’esthétique et le politique : elle les mariait dans un rituel de guérilla créative. Elle tordait les symboles, chantait les contradictions, sculptait dans le kitsch la possibilité d’un sens.
Oui, cette rétrospective aurait pu être plus radicale. Oui, elle aurait gagné à réintégrer Rat Life and Diet in North America, ce pamphlet cinématographique hilarant et accablant. Mais même dans ses silences, l’œuvre de Wieland crie encore. Elle nous regarde, elle nous juge parfois, elle nous espère surtout. Car le combat qu’elle menait – pour la justice, pour l’autonomie, pour l’imagination – n’a jamais été aussi actuel.
À cœur battant, le titre semble doux. Mais il bat fort. Il bat vrai. Il nous invite à sentir, à penser, à résister. En sortant de l’exposition, on ne peut s’empêcher de penser : Et si nous étions, nous aussi, un peu Wieland ?
Alors, allez-y. Vous avez jusqu'au 4 mai pour vous laissez traverser. Et surtout, écoutez battre ce cœur.
Un catalogue merveilleux accompagne l'exposition.
Commissaires : Anne Grace, du MBAM, et Georgiana Uhlyarik, du Musée des beaux-arts de l’Ontario.
Caribou de Tundra / tissu, fil, bourre / 1977-1978 |