À ce moment, j'ai dit à Diane Dufresne: "Vous êtes habitué à votre immense célébrité." Elle a répliqué:"On ne s'habitue jamais." |
Diane Dufresne, figure intemporelle et légendaire de la culture québécoise, se déploie à l’Arsenal art contemporain dans une exposition immersive qui ne fait pas que retracer son parcours, elle en éclaire chaque tournant avec une intensité rare. À 80 ans, l’artiste avance avec une majesté tempérée par une lucidité lumineuse. Tout de noir vêtue, ses baskets argentées étincelant sous ses cheveux blancs bouclés, elle est la personnification vivante de l’audace et de la grâce. Dufresne traverse ainsi les époques, non pas avec nostalgie, mais avec la confiance souveraine de celle qui a conquis chaque instant de son existence.
Cette rétrospective va bien au-delà de l’hommage à la diva flamboyante qui a enflammé les scènes du Québec. Elle révèle la femme, l’artiste, la créatrice de mondes dont chaque costume raconte une histoire. De la rockeuse rebelle à la penseuse introspective, de la romantique rêveuse à la clownesse excentrique, chaque facette de sa carrière s’incarne dans des costumes devenus des œuvres d’art à part entière. Signés par des grands noms comme Michel Robidas et Mario Davignon, ces cent costumes, minutieusement exposés, sont autant de fragments d’une métamorphose artistique continue. Ils témoignent de son engagement profond dans l’art de la scène, où chaque détail visuel participe à la création d’une expérience transcendant le simple spectacle.
Mais Diane Dufresne ne s’est jamais contentée d’être une icône. Avec sa voix, unique et bouleversante, elle a bousculé les conventions sociales, affrontant des tabous longtemps tus. Qui pourrait oublier son apparition seins nus, peints du fleurdelisé, en 1979, ou les cris libérateurs de "À part de d’ça, j’me sens ben" ? Ces moments marquants de sa carrière ne sont pas de simples provocations ; ils sont des cris du cœur, des appels à la liberté, des affirmations pour ceux qui n’ont jamais eu le droit de parler. Ses chansons ont abordé sans détour des thèmes comme l’homosexualité, la sexualité féminine et la quête de soi, ouvrant la voie à une génération de voix éprises de vérité.
L’exposition révèle aussi une Dufresne plus intime, une architecte de l’éphémère. Les grands cahiers où elle notait avec minutie chaque détail de ses spectacles – des éclairages aux costumes, en passant par les effets spéciaux – dévoilent une créatrice rigoureuse. Derrière le voile d’excentricité se trouve une femme qui a toujours cherché la perfection, chaque geste, chaque lumière pensée avec une précision d’orfèvre.
Plus intime encore, ses archives personnelles, rassemblées avec soin par Richard Langevin, son partenaire de vie et commissaire de l’exposition, complètent le portrait d’une vie dédiée à l’art. Chaque billet de concert, chaque souvenir consigné par l’archiviste André Ruel, tisse un fil invisible entre la jeunesse de Dufresne, ses débuts en France, et ses triomphes québécois.
L’œuvre ultime de l’exposition, une balançoire-cercueil recouverte de lierre, émerge comme un symbole frappant. Conçue avec Langevin, cette installation incarne son refus de la peur, même face à la mort. Reposant là, dans cet espace oscillant entre vie et mort, elle choisit de transformer l’éternité en un jeu enfantin. Le cercueil devient balançoire, allégeant la gravité du dernier passage, défiant les conventions jusqu’au bout. Dufresne, même au crépuscule de sa vie, continue de surprendre, de vivre avec une intensité sans égale.
Diane Dufresne n’est pas simplement une artiste, elle est une visionnaire dont la flamboyance est constamment tempérée par une profondeur réfléchie. Avec Aujourd'hui, hier et pour toujours, elle redéfinit encore une fois son héritage, prouvant que l’art n’est pas un lieu de finitude, mais un espace en perpétuelle expansion.
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