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Avec Les barbares, Julie Delpy signe une fable lumineuse et acérée sur la peur de l’Autre, dans une France rurale aussi idyllique qu’inquiète. Installée dans la commune verdoyante de Paimpont, en Bretagne, l’action débute sur une note presque bucolique : une population se mobilise pour accueillir une famille de réfugiés ukrainiens. Mais le film bifurque dès que l’on apprend que ce ne seront pas des Ukrainiens, mais des Syriens. Ce simple glissement sémantique agit comme un révélateur : les préjugés affleurent, les tensions se cristallisent, et l’hospitalité se fait conditionnelle.
La mise en scène, fluide et chaleureuse, baigne dans une lumière dorée, quasi liquide, qui enveloppe les personnages comme un flot apaisant – un contrepoint visuel à la sécheresse des discours et à la dureté des regards. Delpy a le don de faire cohabiter la tendresse et la satire, le grotesque et le tragique, en tissant une comédie dramatique qui marche sur la crête du réel. On rit souvent, parfois jaune, toujours avec une gêne salutaire.
Julie Delpy incarne Joëlle, institutrice infatigable, figure d’une humanité solaire, presque utopique. Inspirée d’une proche dans la vraie vie, Joëlle est de ces femmes qui veulent "sauver le monde même si c’est impossible", comme le dit la réalisatrice elle-même. Son positivisme quasi absurde, porté sans cynisme, est l’âme du film. Face à elle, Laurent Lafitte campe Hervé, le plombier du coin, figure frustre d’un repli identitaire nourri de ressentiment, mais jamais totalement déshumanisé. Delpy évite le piège du manichéisme en lui refusant le statut de pur salaud : son rejet de l’étranger est certes dérangeant, mais compréhensible dans sa peur mal formulée.
Le film doit beaucoup à ses seconds rôles – Sandrine Kiberlain, hilarante en Anne, amie paumée et alcoolisée ; India Hair, bouleversante en épouse tiraillée entre devoir conjugal et conscience naissante. Mais ce sont les interprètes de la famille syrienne, d’une justesse sobre et poignante, qui ancrent Les barbares dans le réel. La cinéaste révèle d’ailleurs les difficultés du casting : entre craintes sécuritaires et protection des identités, certains comédiens n’ont pas voulu être nommés. Ce respect discret des trajectoires personnelles s’imprime dans le film comme une pudeur nécessaire.
La satire n’épargne personne, mais elle ne cherche jamais à humilier. Delpy revendique une certaine exagération — après tout, « c’est de la comédie », dit-elle — mais l’humour n’y est jamais gratuit. Il découle d’une observation fine, nourrie d’enquêtes, de témoignages, d’immersion dans la matière vivante de la société française contemporaine.
Les barbares est un film qui divise pour mieux réunir. Il pousse, dérange, attendrit, mais surtout, il croit. En l’école, en la jeunesse, en la possibilité de réconciliation. Il ne prétend pas panser les plaies de l’Europe, mais il a le mérite de les nommer avec grâce. Et c’est déjà beaucoup.
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