| Marie-Claire Blais |
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Lumières déferlantes, une œuvre en suspension entre matière et souffle
Au Musée des beaux-arts de Montréal, l’exposition Lumières déferlantes de Marie-Claire Blais propose une expérience sensorielle aussi enveloppante que radicalement douce. Dans un monde saturé de stimuli visuels et de récits oppressants, l’artiste montréalaise, formée en architecture, érige un sanctuaire de calme et de lumière. Son œuvre la plus ambitieuse à ce jour — une installation monumentale composée de 22 panneaux suspendus — fait battre le cœur du musée au rythme lent d’une vague qui, plutôt que de heurter, caresse l’espace.
En s’arrachant littéralement au mur, la peinture de Blais devient volume. La toile de jute, matière brute et poreuse, recouverte de pigments appliqués en larges gestes circulaires, flotte dans les airs comme une peau vivante. Ces surfaces à deux faces, que le public est invité à contourner, voire à traverser visuellement, imposent une physicalité rare en peinture contemporaine. Elles ne sont plus seulement vues, elles sont traversées du regard et de l’écoute. Car une œuvre sonore — discrète, mais essentielle — rythme l’installation comme un souffle intermittent. Ce sont les sons de l’atelier, du pinceau frottant la toile, du corps en mouvement. L’œuvre respire.
Autour de cette installation centrale, des peintures murales plissées déclinent un langage formel qui évoque tour à tour les ondulations d’un paysage ou la verticalité affirmée d’un corps. L’irrégularité de leur accrochage crée une cadence presque chorégraphique dans la salle. Les plis, motifs récurrents dans le travail de Blais, deviennent des lignes de force du mouvement : ils parlent du geste, du passage du temps, et de cette mémoire du corps que l’artiste transpose dans la matière.
« Je cherche à libérer la toile », dit Blais. Et c’est exactement ce qu’elle accomplit ici. Elle ne se contente pas d’accrocher des œuvres, elle construit un espace d’interaction, presque de rituel. Le spectateur est invité à déambuler, à s’ouvrir à la lenteur, à l’émotion diffuse. Les teintes pastel, jamais fades, établissent une atmosphère feutrée, propice à la contemplation. Rien n’est crié, tout est chuchoté avec conviction.
La commissaire Anne-Marie St-Jean Aubre évoque à juste titre « l’expérience quotidienne du lever et du coucher du soleil ». L’exposition ne donne pas à voir un moment spectaculaire, mais une durée, une présence — ce que le philosophe Maurice Merleau-Ponty aurait peut-être nommé « l’épaisseur du monde ». Blais réussit à peindre ce que l’on ne peut pas voir : l’air entre les choses, le lien sensible entre l’œuvre et celui qui la regarde.
Lumières déferlantes n’est pas une exposition à visiter : c’est un espace à habiter, une œuvre à éprouver dans le silence et le mouvement. Elle confirme Marie-Claire Blais comme une figure essentielle de l’art contemporain canadien, capable de repousser les limites de la peinture sans jamais en trahir l’essence.
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Photos © LENA GHIO, 2025
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