Friday, October 10, 2025

FNC 2025 : Affection Affection – Le temps profond du regard

Festival Nouveau Cinéma 2025
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Bande Annonce

Le public est sorti partagé de Affection Affection, dernier film de Maxime Matray et Alexia Walther, a été présenté à Locarno cet été. Certains ont parlé de lenteur, d’opacité, d’un rythme hors du temps. Ces mots, loin d’être des reproches, décrivent précisément ce que le film propose : une expérience d’immersion dans la durée, une traversée du visible qui exige patience et abandon. Affection Affection n’est pas conçu pour plaire immédiatement — il est conçu pour durer.

Sous les apparences d’un récit policier — une adolescente disparaît le jour de son anniversaire sur la Côte d’Azur ; Géraldine, employée de mairie, s’enquiert des rumeurs ; une mère revient — se cache un poème sur la transformation intérieure. Le film est moins une enquête qu’une initiation. Matray et Walther observent la société française non depuis sa surface médiatique, mais depuis ses zones enfouies : la solitude, la honte, la tendresse impossible. Ce n’est pas un cinéma qui cherche à distraire, mais un cinéma qui cherche à guérir — lentement, viscéralement.


Le travail de l’ombre

Agathe Bonitzer, dans le rôle de Géraldine, incarne à la perfection cette exploration des zones grises de l’âme. Sa performance, d’une retenue presque spectrale, révèle la dimension psychanalytique du film : chaque silence, chaque détour bureaucratique devient symptôme d’un refoulé collectif. La disparition de la jeune fille agit comme une faille dans le tissu social — un point de fuite où se révèlent la fatigue morale, la culpabilité, et la peur du vide.

Le film se déploie comme un processus de lente décomposition : il faut traverser la confusion, la répétition, le silence, pour espérer la clarté. La lenteur, ici, n’est pas inertie : elle est méthode. Elle reproduit la temporalité de la cicatrisation.

L’architecture du collectif

Matray et Walther s’inscrivent dans une tradition du cinéma européen qui croit encore à la forme comme espace politique. Leur découpage elliptique, leurs ruptures de rythme et leurs compositions géométriques évoquent un monde où la cohérence n’est plus donnée, mais à reconstruire. Le village de la Riviera devient ainsi une micro-société, un laboratoire du lien.

Ce que certains spectateurs ont ressenti comme distance est, en réalité, une invitation à un autre rapport au collectif. Le film ne raconte pas une histoire au public ; il l’implique dans une expérience commune. Les visages anonymes, les conversations fragmentaires, les intérieurs figés : tout compose une cartographie du désœuvrement contemporain. Mais dans cette désarticulation, une utopie se dessine — celle d’une communauté à réinventer, fragile, solidaire, lucide.


Le souffle mystique du quotidien

Malgré son austérité formelle, Affection Affection est traversé par une douceur inespérée. Matray et Walther filment la tendresse comme une énergie subtile, presque spirituelle. Dans une scène où Géraldine contemple la mer au crépuscule, le film s’ouvre à une émotion d’une pureté rare : la conscience du vivant dans l’absence. Micha Vanony signe une musique discrète, faite de résonances et de respirations, qui confère à l’ensemble une grâce suspendue.

Il serait aisé de qualifier cette œuvre de “lente” — mais la lenteur, ici, n’est pas un défaut, c’est un acte de résistance. Résistance au flux saturé des images rapides, à la tyrannie du commentaire immédiat, à la consommation du sens. Dans un monde où tout s’accélère, Affection Affection demande à chacun de ralentir, d’écouter, de ressentir autrement. Ce que le public perçoit comme une épreuve est, en vérité, une invitation à la présence.

L’éthique du regard

La force du film tient à sa rigueur. Matray et Walther filment sans emphase ni effet : leur esthétique repose sur la justesse des cadres, la densité du silence, la précision des gestes. La caméra ne cherche jamais à séduire ; elle observe. Cette distance n’est pas froideur, mais respect : respect du mystère, respect du spectateur.

Leur cinéma appartient à la lignée des œuvres qui refusent la facilité narrative pour mieux restituer la complexité du réel. Affection Affection témoigne d’un sens profond de la discipline artistique — cette conviction que l’art, pour être juste, doit être fidèle à la lenteur du monde.


Un film pour plus tard

Le désamour du public, en ce sens, n’est pas un échec : il est presque inévitable. Les films qui travaillent la durée et le silence ne s’offrent pas d’emblée. Ils se déposent lentement, comme une sédimentation intérieure. On les comprend souvent après coup, dans un rêve, un souvenir, une conversation. Affection Affection appartient à cette famille d’œuvres discrètes qui se refusent à l’immédiateté, mais qui finissent par modifier la respiration même du spectateur.

Dans la cacophonie du cinéma contemporain, cette œuvre rare rappelle une vérité simple : regarder, vraiment regarder, prend du temps. Et c’est peut-être cela que le public, déconcerté, a ressenti — non l’ennui, mais la résistance d’un art qui ne cède rien à la hâte.

Ce film ne se consomme pas ; il se médite. Et c’est précisément ce qui lui assure une vie longue — dans la mémoire, dans le silence, dans cette zone secrète où le cinéma cesse d’être spectacle pour redevenir expérience.

À VOIR au FNC:

15 octobre 18h30 Cinéma du Parc

16 octobre 18h 15 Cinéma Quartier Latin


LENA GHIO   

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