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Un soir avec les Impressionnistes, Paris 1874
Rarement une expérience immersive aura su allier avec autant de finesse la prouesse technologique et l’émotion artistique. Un soir avec les Impressionnistes, Paris 1874 — fruit d’une collaboration exemplaire entre Excurio, GEDEON Experiences et le Musée d’Orsay — nous transporte littéralement dans un moment fondateur de l’histoire de l’art, au cœur du tout premier accrochage impressionniste dans l’atelier du photographe Nadar, boulevard des Capucines à Paris.
Ici, la réalité virtuelle dépasse le simple gadget pour devenir vecteur de poésie, de savoir, de mémoire. Loin de toute superficialité, l’expérience présentée à l’Arsenal art contemporain de Montréal — après un succès retentissant à Paris et New York — est un hommage vibrant aux trente artistes qui, en avril 1874, osèrent rompre avec les canons académiques. Monet, Renoir, Morisot, Pissarro, Cézanne, Degas… tous sont là, incarnés avec une justesse troublante, évoluant dans des décors reconstitués avec une précision documentaire bluffante.
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Certes, certains visiteurs chercheront les apports pédagogiques de cette traversée virtuelle — et ils ne seront pas déçus — mais c’est la performance technique qui m’a laissée sans voix. En quarante-cinq minutes, nous déambulons à travers Paris et ses alentours comme si nous y étions : le studio de Frédéric Bazille, l’île de la Grenouillère, Le Havre… autant de lieux mythiques où l’œil impressionniste s’est forgé à la lumière mouvante, aux reflets changeants, aux instants volés.
Guidé·e·s par Rose, notre accompagnatrice virtuelle aussi élégante que bienveillante, nous ne sommes plus de simples spectateurs. Nous devenons témoins, complices, presque amis de ces artistes encore incompris qui osent, dans un élan de liberté, afficher leurs œuvres en dehors des salons officiels. Cette audace, cette fragilité et cette ferveur créatrice sont palpables à chaque regard échangé, à chaque mot prononcé.
Et comment ne pas souligner l’atmosphère magistrale du studio de Nadar, baigné d’une lumière douce, habité par les voix de l’Histoire ? Le sol craque sous nos pas, les tableaux vibrent, les conversations flottent dans l’air comme un parfum d’insolence. On se surprend à tendre l’oreille, à frôler du doigt une toile de Monet, à retenir son souffle devant les coups de pinceau naissants d’une révolution.
Oui, l’expérience passe trop vite. Mais n’est-ce pas là le propre de tout chef-d’œuvre ? On en sort ému, nourri, grandi, avec le sentiment rare d’avoir effleuré l’intime d’un moment historique. Les enfants y trouvent un terrain ludique et sensoriel pour découvrir l’art, les adultes, un bain de culture et de beauté hors du temps. C’est une passerelle magistrale entre les siècles, entre les publics, entre la technologie et l’humanité.
Un soir avec les Impressionnistes n’est pas qu’un spectacle : c’est une résurrection. Un éblouissement. Et, pour quelques instants, un billet pour Paris sans escale ni décalage horaire.
DARKFIELD Montréal > 19 septembre 2025
| DARKFIELD |
Dans le paysage saturé des expériences immersives post-pandémiques, l'œuvre de la compagnie britannique Darkfield ne se contente pas d’attirer le public — elle l’aspire littéralement dans l’obscur. Avec Séance et Flight, deux performances installées dans des conteneurs maritimes posés comme des balises de l’invisible, Darkfield réinvente l’idée même de théâtre. Ici, pas de scène, pas d’acteurs visibles, pas de narration traditionnelle : uniquement un travail de haute précision sur le son, l’espace, et la perception.
Le pari est radical : le spectateur est aveuglé pour mieux voir — ou plutôt sentir, entendre, imaginer. Le noir absolu devient une chambre d’écho intérieure où chaque grincement, chaque souffle, chaque mot susurré prend une densité presque corporelle. Dans Séance, sans doute la plus cérémoniale des deux œuvres, l’on s’installe autour d’une longue table. Les mains posées bien à plat, les sens en alerte, l’on attend que quelque chose — ou quelqu’un — se manifeste. Rapidement, le rituel bascule. Des pas résonnent, une présence circule. La table vibre. Une voix vous demande : « Êtes-vous seul ? » Et l’on se surprend à douter de sa propre solitude.
L’expérience convoque un imaginaire collectif — celui du spiritisme, de la table tournante, du surnaturel victorien — mais elle le fait avec une sophistication sonore remarquable. Le réalisme acoustique est tel que l’on oublie que tout est préenregistré. Le frisson vient moins de ce que l’on entend que de ce que l’on croit ressentir. Et pourtant, malgré cette intensité, Séance laisse sur sa faim : la montée dramatique est nette, mais le final, trop abrupt, manque de résonance. Comme si, au moment de conclure, l’œuvre n’osait pas franchir le seuil qu’elle avait longuement effleuré.
Flight, en revanche, assume pleinement sa plongée dans l’abîme sensoriel et conceptuel. Le dispositif est d’une ironie tranchante : un conteneur transformé en cabine d’avion, une voix douce et glaciale d’hôtesse, des consignes absurdes. Le ton est d’abord comique, presque surréaliste. Puis, lentement, le réel se fissure. On parle de chats de Schrödinger, de probabilités, d’accidents qui ne se produisent que si l’on en est conscient. Le plancher tremble. Les lumières clignotent. Et soudain, des passagers apparaissent de l’autre côté de l’allée… là où il n’y avait rien.
Cette mise en scène du vertige, aussi philosophique qu’angoissante, fait de Flight une œuvre à la fois métaphysique et viscérale. Le spectateur est à la fois cobaye et complice. Et lorsqu’une voix vous glisse à l’oreille : « Vous êtes déjà dans le siège le plus chanceux », on ne sait plus si l’on doit sourire, frémir, ou fuir.
Ce que Darkfield propose ici, c’est une forme d’art total inversé : au lieu d’un excès de stimuli, une privation calculée, une mise en crise des sens. Plus qu’une expérience immersive, c’est une effraction. Un théâtre sans lumière, mais chargé d’éclairs intérieurs. Une expérience qui ne se vit pas — elle se traverse.
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