Wednesday, August 13, 2025

Le Mélange des Genres de Michel Leclerc

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Dans Le Mélange des Genres, Michel Leclerc revisite les lignes de front de la bataille culturelle contemporaine avec l’audace d’un équilibriste qui ne craint ni les faux pas ni les contradictions. Après Le Nom des Gens, qui sondait les paradoxes identitaires et les préjugés politiques, le cinéaste revient avec une comédie dramatique où la légèreté s’invite à la table de questions brûlantes : #MeToo, violences conjugales, radicalisation idéologique, virilité en crise, culpabilité masculine héritée.

Le film s’ouvre sur un affrontement de rue presque chorégraphié : Sauvons les papas, bloc viriliste et anti-woke, contre Les Hardies, collectif féministe flamboyant et vindicatif. Entre invectives et coups portés, Leclerc filme le chaos comme une farce, mais une farce dangereuse — la collision de deux mondes étanches, incapables de se parler autrement que par slogans. Ce décor initial annonce la logique du film : faire naître le rire là où, d’ordinaire, le débat se fige dans l’anathème.

Le moteur du récit est un malentendu tragique, voire explosif : Simone (Léa Drucker), policière infiltrée parmi Les Hardies, pourchasse la vérité sur une affaire d’homicide conjugal. Surprise par ses camarades devant le commissariat, elle improvise une couverture : elle prétend être venue dénoncer son violeur et accuse… le premier homme croisé. Ce sera Paul (Benjamin Lavernhe), acteur intermittent et père au foyer exemplaire. L’engrenage est lancé.

Leclerc et Baya Kasmi, sa coscénariste, osent ce que beaucoup de films récents évitent : traiter frontalement de l’hypothèse d’une dénonciation calomnieuse — sujet rare car instrumentalisé par les adversaires de #MeToo — tout en la replaçant dans un contexte plus large, celui de la libération nécessaire de la parole des femmes. Le pari est risqué : comment ne pas sembler décrédibiliser le combat féministe ? Comment, inversement, ne pas verser dans un plaidoyer masculiniste ? Le film choisit la voie étroite : démontrer plutôt qu’argumenter, en mettant les personnages face à leurs contradictions.

C’est dans le personnage de Paul que le film trouve sa chair la plus sensible. Lavernhe, déjà maître dans l’art du pathétique lumineux (Le DiscoursL’Abbé Pierre), lui prête une bienveillance qui rend l’accusation d’autant plus insoutenable. Paul est l’homme qui a troqué les plateaux de tournage pour la cuisine, la lessive et les devoirs des enfants, laissant à son épouse Charlotte (Julia Piaton) le devant de la scène. Il incarne une masculinité domestique, apaisée, presque désarmée.

Mais la force du scénario est de montrer que cette douceur n’est pas un état pur, imperméable à l’ego ou au désir. L’accusation, aussi injuste soit-elle, réactive en lui une conscience virile qu’il croyait dépassée. Il se surprend à vouloir “exister” autrement, à chercher un regard qui le désigne encore comme un homme désiré. Derrière le portrait de “l’homme déconstruit” se devine celui de “l’homme démoli” — lapsus que le film rend éloquent.


Face à lui, Simone est un contrepoint fascinant. Policère hermétique aux revendications féministes, formée dans un commissariat où la blague machiste est monnaie courante, elle infiltre Les Hardies avec un mélange de cynisme et de loyauté à sa hiérarchie. Mais l’affaire Paul agit comme un révélateur : confrontée aux récits de femmes ignorées ou humiliées par la justice, elle ne peut plus réduire leur colère à une posture militante. Drucker, dans un registre mesuré, incarne la fissure morale avec justesse — son regard devient le sismographe de ses doutes.

Leclerc ne signe ni une satire univoque ni un plaidoyer monolithique. La comédie frôle souvent le grotesque — un utérus géant sert de décor à l’une des dernières scènes, clin d’œil à Platon inversé : non pas sortir de la caverne pour voir la lumière, mais entrer dans un espace matriciel où l’on se défait des discours hérités. Allégorie lourde pour certains critiques, mais qui fonctionne comme métaphore d’une refondation symbolique des rapports hommes-femmes.

Cette fantaisie cohabite avec des instantanés quasi-documentaires : les images choc sur les paquets de cigarettes (Paul y est modèle involontaire), les réunions militantes saturées de slogans, les soupirs fatalistes des policiers face à des plaintes trop nombreuses et complexes. Ce mélange de registres — comédie, drame social, polar, onirisme — donne au film son titre mais aussi sa fragilité : il séduira les spectateurs curieux des zones grises, mais risque de perdre ceux qui préfèrent un ton unique.

Le casting est un festin de nuances :

  • Melha Bedia campe une Sofia maladroite et trop zélée, révélant le potentiel comique des engagements pris au premier degré.

  • Judith Chemla, en Marianne, impose un leadership à la fois protecteur et inquisitorial.

  • Vincent Elbaz incarne Jean-Jacques, supérieur hiérarchique et mari de Simone, prototype d’un patriarcat de bureau plus feutré que brutal.

  • Julia Piaton offre à Charlotte une humanité qui empêche le personnage d’être la simple “femme de”.

Leclerc s’amuse aussi des apparitions : Virginie Despentes, Vincent Delerm (qui signe aussi la musique), Félix Moati dans un rôle d’amant de théâtre. Ces insertions, loin d’être des clins d’œil gratuits, enrichissent la texture du récit.

Ce que disent les contrepoints critiques

Les réactions de la presse française reflètent la nature polarisée du film :

  • Pour Télérama, on rit “plus des féministes qu’on ne se moque des masculinistes” — une critique qui souligne le risque de déséquilibre comique.

  • Paris-Match reproche à la fin son caractère maladroit, la comparant à Calmos de Bertrand Blier, pamphlet misogyne que Leclerc cherche précisément à contrer.

  • D’autres saluent, comme Angle[s] de vue, la richesse scénaristique et le refus de sacrifier la complexité sur l’autel du consensus.

Ce qui reste après la projection

Le Mélange des Genres ne livre pas de solution clé en main. Il préfère montrer que les positions, même lorsqu’elles paraissent claires, sont toujours traversées par des contradictions personnelles. Le film rappelle aussi, subtilement, que la libération de la parole féminine ne doit pas se muer en instrument de lynchage, mais que la peur d’un excès ne saurait justifier l’inertie face aux violences.

Il y a, dans ce récit, un appel à la “douceur masculine” — non pas une capitulation, mais un réinvestissement du rôle masculin affranchi des réflexes de domination. Et en creux, une invitation faite aux femmes à reconnaître la valeur de cette douceur, sans la mépriser comme une faiblesse.

Si le film s’achève dans un utérus géant, c’est pour rappeler que l’avenir des relations hommes-femmes dépend d’une renaissance mutuelle : se délester du poids du passé, inventer des formes d’intimité et de respect qui ne soient pas dictées par les idéologies, mais par la rencontre réelle.

En somme, Leclerc signe une œuvre imparfaite, parfois bancale, mais précieuse : un film qui ose s’aventurer dans les terrains minés du débat public, armé d’humour, d’humanité et d’une certaine tendresse désenchantée. À l’heure où les récits polarisés dominent, ce Mélange rappelle que la vérité est rarement pure, et que c’est précisément dans ce trouble que réside la possibilité d’un dialogue.

Michel Leclerc signe une comédie audacieuse mêlant humour et drame, explorant accusations, féminisme, masculinité douce et dialogues impossibles.a

LENA GHIO   

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