| Don Giovanni, interprété par John Brancy, avec Kirsten LeBlanc dans le rôle de Donna Anna. Remarquez les marques au sol indiquant les déplacements des interprètes. |
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Un soir d’automne montréalais, le rideau se lèvera lentement sur un chef-d’œuvre qui a traversé les siècles comme un éclair pétrifié : Don Giovanni de Mozart. Sur scène, séduction et damnation s’embrasseront dans une spirale musicale où l’humour noir tutoie la tragédie, où les voix s’élèvent comme des éclats de lumière dans l’obscurité, où la musique se fait juge et témoin d’un destin scellé par la démesure. Mais avant de s’asseoir dans la salle et de s’abandonner à cette œuvre mythique, il faut comprendre ce que représente une soirée d’opéra — pour ceux qui la créent comme pour ceux qui la découvrent.
Mozart et Da Ponte : l’éternel duel entre désir et justice
En 1787, à Prague, le public découvrait pour la première fois ce que le librettiste Lorenzo da Ponte et Wolfgang Amadeus Mozart avaient conçu comme un « dramma giocoso », une tragédie drapée dans des éclats de comédie. Don Giovanni, séducteur impénitent, enchaîne les conquêtes et défie les règles sociales, jusqu’au moment où un meurtre déclenche la vengeance des vivants et des morts. L’opéra s’achève dans un affrontement surnaturel, où le libertin, refusant le repentir, est précipité aux enfers.
Ce récit intemporel, porté par une musique qui sait être tour à tour élégante, sensuelle et apocalyptique, trouve aujourd’hui une nouvelle vie à Montréal grâce à l’Opéra de Montréal et au metteur en scène Stephen Lawless, maître dans l’art de faire résonner Mozart au présent. Sur scène, une distribution internationale — de John Brancy en Don Giovanni à Ruben Drole en Leporello, de Kirsten LeBlanc en Donna Anna à Andrea Nuñez en Elvira — portera cette fresque où chaque air est une confession, chaque ensemble une explosion dramatique.
| Salle de répétition qui attend les artistes. |
Derrière le rideau : une mécanique invisible
Ce que le spectateur verra, c’est une soirée qui semble se dérouler sans faille. Mais ce naturel est une illusion savamment construite. Dans les minutes qui précèdent l’entrée en scène, les coulisses bouillonnent d’une nervosité contenue. Les techniciens vérifient les câbles, les décors suspendus, l’éclairage qui doit s’accorder à chaque atmosphère. Les musiciens s’installent dans la fosse, ajustant leurs pupitres sous l’œil vigilant du chef Kensho Watanabe. Les chanteurs, quant à eux, répètent une dernière vocalise dans leurs loges, sanctuaires de concentration où la superstition n’est jamais loin.
La loge n’est pas seulement un espace fonctionnel ; elle est l’antichambre du rôle, un lieu où l’artiste dépose ses doutes et endosse son masque. Ici, une soprano réclamera une tisane au miel parfaitement tiède ; là, un baryton fermera les yeux dans un silence monacal. Ces rituels, parfois anodins, parfois impérieux, sont les conditions invisibles d’un art qui se joue à la limite de l’humain : chanter trois heures durant, sans amplification, et donner à chaque note la précision d’un éclat de verre.
L’orchestre, narrateur caché
À l’opéra, les chanteurs occupent le devant de la scène, mais c’est l’orchestre qui respire sous leurs voix, qui colore les silences et précipite les drames. Dans Don Giovanni, l’orchestre devient presque un personnage : il rit, il frissonne, il prophétise. Le célèbre accord final, celui qui précipite le libertin dans les flammes, ne doit rien à un décor ou à un cri : il appartient à la musique, à cette gravité qui tombe comme une sentence universelle.
Kensho Watanabe, à la baguette, aura la tâche de faire dialoguer ces deux mondes — la scène et la fosse — en anticipant chaque respiration des chanteurs, en sculptant la fluidité qui permet à l’opéra d’être un organisme vivant plutôt qu’une succession d’airs.
John Brancy, Kirsten LeBlanc et Ruben Drole dans le rôle de Leporello
Les costumes, les décors : la chair du mythe
On ne le dira jamais assez : l’opéra est un art total. Les ateliers de couture et de perruques travaillent autant que les chœurs pour donner au mythe sa matérialité. Chaque habit, chaque épée, chaque robe pèse sur la dramaturgie comme une réplique silencieuse. Le spectateur n’y pense guère, mais si l’éclairage faiblit, si le décor chancelle, l’illusion se brise. À Montréal, les ateliers ont œuvré pour créer un monde où l’Espagne fantasmée du XVIIIe siècle rencontre une esthétique scénique capable de parler au XXIe siècle.
Le rôle du metteur en scène : réinventer sans trahir
Stephen Lawless n’est pas un inconnu dans l’univers mozartien. Sa mise en scène promet d’articuler le classicisme de l’œuvre avec une lecture contemporaine des rapports de pouvoir, de séduction et de violence. Car Don Giovanni, figure à la fois séduisante et monstrueuse, ne cesse d’interroger notre présent : jusqu’où la liberté individuelle peut-elle s’étendre lorsqu’elle nie la dignité d’autrui ? En ce sens, chaque reprise de l’opéra est aussi un miroir tendu à notre époque.
Préparer sa première expérience d’opéra
Pour celui ou celle qui franchira pour la première fois les portes de l’Opéra de Montréal, l’expérience peut sembler intimidante. Faut-il un smoking, un lexique musical, une érudition particulière ? Rien de cela. On peut venir en jeans ou en robe de soirée : l’important est d’être attentif, réceptif. L’histoire sera projetée en surtitres, en français et en anglais, au-dessus de la scène. Chaque spectateur pourra ainsi suivre l’action, même sans connaître un mot d’italien.
Mieux encore : en visionnant ce préOpéra avant le lever de rideau, on recevra les clés d’interprétation essentielles, offertes par un musicologue. Ces mises en contexte permettent de comprendre non seulement l’intrigue, mais aussi l’époque de Mozart, son humour, sa provocation.
Une règle d’or : arriver à l’heure. À l’opéra, le retard n’est pas toléré ; les portes se ferment dès les premiers accords, et il faudra attendre l’entracte pour entrer. Une autre : respecter le silence. L’opéra n’utilise aucun micro ; la moindre sonnerie de téléphone ou froissement de papier devient une trahison sonore. Enfin, laissez-vous aller : applaudissez, criez bravo quand un air vous émeut — le rituel fait partie du pacte.
Pourquoi Don Giovanni aujourd’hui ?
Parce qu’il parle encore. Parce qu’il questionne le pouvoir, le désir, l’impunité, thèmes qui hantent nos sociétés contemporaines. Parce que sa musique, 238 ans après sa création, reste incandescente. Parce que dans une ville comme Montréal, métropole de contrastes et de cultures, l’opéra devient un lieu de rassemblement où le public peut partager un silence collectif, puis une ovation.
Et peut-être aussi parce qu’au-delà de l’histoire du séducteur condamné, Don Giovanni nous rappelle la fragilité de l’instant : un souffle, une voix, un geste suffisent à faire basculer la scène. Pour quelques heures, nous assistons non seulement à la chute d’un libertin, mais à la rencontre improbable entre le travail acharné de centaines d’artisans de l’ombre et la beauté fulgurante d’une musique éternelle.
Alors, lorsque le rideau se lèvera, laissez les flammes de Mozart vous atteindre. Derrière chaque note, chaque costume, chaque silence, se cache une armée de mains, de voix, de visages. Et vous, spectateur, en franchissant la porte, vous devenez le dernier maillon de cette chaîne fragile et sublime qu’on appelle tout simplement : l’opéra.
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Photos © LENA GHIO, 2025
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