Thursday, November 13, 2025

CINEMANIA 2025: 2 films à voir ce fin de semaine

CINEMANIA

Bande Annonce 15 NOV. 11H00 Cineplex Quartier Latin | Salle 9

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LA FEMME LA PLUS RICHE DU MONDE de Thierry Klifa

Il faut reconnaître à Isabelle Huppert une forme d’héroïsme professionnel : l’actrice, éternelle souveraine du cinéma français, semble décidée à ne jamais s’arrêter de tourner, quitte à se compromettre dans des entreprises mineures où son talent sert d’unique caution artistique. La femme la plus riche du monde, sixième long métrage de Thierry Klifa, appartient à cette catégorie — celle des films où Huppert, fardée de perfection et gainée de soie, évolue comme dans un miroir trop propre, reflétant davantage le prestige de son nom que la profondeur du scénario qui l’entoure. Présenté hors compétition à Cannes, ce drame satirique inspiré de l’affaire Bettencourt promettait une autopsie acide de la démesure bourgeoise ; il ne livre qu’un élégant soap, aussi policé que désincarné, où le vernis social étouffe toute ambition véritable.

Dès la scène d’ouverture — une perquisition à l’aube dans une villa dorée — Klifa installe le ton : glamour déréglé, hystérie sous contrôle. Marianne Farrère, magnat des cosmétiques et idole flétrissante du capitalisme français, est réveillée par la police et, sans un cheveu déplacé, contemple la saisie de ses biens. Huppert, somnambule impériale, se tient droite comme un point d’exclamation dans un monde qui s’effondre, et l’on comprend aussitôt que la tragédie sera d’abord une question de surface. L’intrigue remonte ensuite le fil des événements, reconstituant les liens troubles qui unissent Marianne à Pierre-Alain, photographe raté et gigolo assumé, joué par un Laurent Lafitte aussi vulgaire que jubilatoire. Leur relation — une amitié perverse, un amour platonique mâtiné de dépendance affective — devient le moteur d’un récit qui oscille sans jamais choisir entre le drame de mœurs et la farce sociologique.

Le film prétend à la satire, mais n’en a ni la cruauté ni la vitesse. Là où Succession ou même The White Lotus transforment la décadence en arme de critique, Klifa se contente d’en reproduire les signes extérieurs : villas immaculées, verres de cristal, disputes feutrées. Hichame Alouié filme tout cela avec une élégance muséale, si soucieuse de flatter la lumière sur le visage d’Huppert qu’elle en oublie de révéler quoi que ce soit derrière. Les dialogues, écrits par Klifa, Cédric Anger et Jacques Fiesch, empilent les aphorismes pseudo-cyniques sur le vide des riches, sans jamais oser la morsure. On devine le désir d’un Dangerous Liaisons contemporain, mais on obtient un téléfilm de luxe, où la vulgarité du propos se drape dans une mise en scène qui craint la laideur comme la vérité.

Face à cette vacuité, Huppert trouve encore le moyen d’imposer une forme de fascination. Elle ne joue plus vraiment : elle règne. Chaque regard, chaque inflexion de voix transforme la platitude en abstraction esthétique. Elle incarne moins un personnage qu’un concept — celui d’une femme devenue sa propre marque, prisonnière d’un empire cosmétique et d’une image glacée. Autour d’elle, Marina Foïs apporte une humanité que le film refuse, tandis que Lafitte, bouffon tragique, dynamite par moments la rigidité du cadre. Mais tout cela reste sans conséquence, faute d’un point de vue réel.

La femme la plus riche du monde se regarde ainsi comme on contemple une vitrine de haute couture : tout y est somptueux, et rien n’y palpite. Klifa croit filmer la solitude des puissants, il ne fait qu’illustrer leur ennui. Et si Huppert, en déesse fatiguée, continue de régner sur ces ruines dorées, c’est peut-être parce qu’elle sait que le vrai luxe, désormais, serait d’avoir un film à sa hauteur.

Bande Annonce 14 NOV. 17H30 Monument National et 16 NOV. 11H00 Cinéma du Musée 

DEUX PIANOS d' Arnaud Desplechin

Arnaud Desplechin n’a jamais été un réalisateur des demi-mesures, et Deux Pianos — son dernier acte d’exubérance cinématographique — se joue comme une fugue écrite en pleine fièvre. Le film commence par un fracas, littéralement : un homme s’évanouit à la vue de son ancienne amante, se heurtant la tête contre la porte d’un ascenseur tandis qu’elle s’enfuit, telle une fugitive poursuivie par ses propres émotions. À partir de là, Desplechin ne construit pas tant qu’il ricoche, orchestrant un mélodrame si intensément dévoué à ses excès qu’on ne peut qu’admirer sa pure endurance. C’est un film qui chancelle, valse, s’effondre et se relève dans le même mouvement — un concerto erratique en deux tonalités : le sublime et l’absurde.

François Civil, dans le rôle du pianiste prodigue Mathias, porte le film avec une volatilité maîtrisée qui reflète la relation fracturée de son personnage à l’art et à l’affection. Rentrant d’un exil auto-imposé à Tokyo vers Lyon — une ville dépeinte ici à la fois comme lieu de naissance et piège psychologique — Mathias affronte une galerie de fantômes : son mentor impérieux, Elena, incarnée par Charlotte Rampling avec la hauteur d’une statue de marbre et la lueur d’une tendresse enfouie ; sa mère, qui le supplie sans cesse de fuir la médiocrité ; et Claude, un amour trop fragile pour survivre, mais trop vif pour être oublié. Le titre du film renvoie bien sûr à l’instrument qu’ils partagent, mais aussi au duo impossible du passé et du présent, du maître et de l’élève, de l’homme et de la femme, de la raison et du désir.

L’Elena de Rampling est le centre de gravité du film : chacune de ses paroles est une note d’injonction, chacun de ses silences une accusation. Desplechin la filme avec une révérence quasi religieuse — contre-plongées qui l’élèvent au rang de divinité, lumière qui polit ses traits comme un hommage. Pourtant, lorsqu’elle cède, lorsque sa voix tremble ou que son sourire trahit la fatigue, la caméra ose enfin la rencontrer à hauteur d’homme. Dans ces rares instants de délicatesse, Deux Pianos semble presque cesser de jouer la comédie. On y entrevoit le film qu’il aurait pu être : une méditation austère sur la transmission, la mortalité et l’intimité périlleuse de la création artistique. Mais Desplechin, éternel dramaturge, ne peut s’empêcher de relancer le tempo jusqu’à la fièvre.

Le scénario, coécrit avec Kamen Velkovsky, flirte sans cesse avec l’invraisemblance. Les morts arrivent à point nommé, les coïncidences s’empilent comme des dominos, et Lyon semble habitée par une douzaine de personnages prisonniers de leurs tourments mutuels. Pourtant, le cinéma de Desplechin a toujours prospéré sur la frontière poreuse entre la sincérité et la parodie ; ici, le chaos semble à la fois conscient de lui-même et profondément sincère. Une minute, on se croit dans Scènes de la vie conjugale ; la suivante, dans une Soapdish à la française. Mathias, interprété par Civil, est peut-être excessif, et Claude esquissée comme une figure d’instabilité érotique, mais tous deux jouent avec une conviction telle qu’on suspend son incrédulité — ou du moins qu’on diffère son jugement jusqu’à la prochaine aria d’émotion.

La photographie de Paul Guilhaume, luxuriante de tons ocre et de gestes de caméra impulsifs, insuffle au film son pouls, tandis que la musique de Grégoire Hetzel — oscillant entre Chopin et des thèmes originaux tempétueux — agit à la fois comme lest et provocation. Ensemble, ils entretiennent l’illusion que ce récit excessif est en réalité une pièce de musique de chambre, dont les dissonances seraient voulues et les crescendos mérités.

À son étrange conclusion atténuée, Deux Pianos s’est épuisé, et nous avec, mais il laisse derrière lui un résidu de fascination. Desplechin, éternel rival de lui-même, a composé une nouvelle symphonie de la folie humaine, excessive, erratique, mais indéniablement vivante. Comme Mathias, il ne peut s’empêcher de jouer trop de notes — et grand bien nous en fasse.

LENA GHIO   

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