Sunday, November 2, 2025

Le Musée des beaux-arts de Montréal rouvre son écrin du design et +

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En traversant le seuil du pavillon Liliane et David M. Stewart fraîchement réinventé, un bruissement de siècles et de styles nous enveloppe comme une houle silencieuse. Le béton brut du bâtiment, signé Fred David Lebensold – bastion du brutalisme canadien – n’annonce pas d’emblée la richesse tactile et sensorielle que l’on s’apprête à découvrir. Et pourtant, derrière ces murs austères, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) orchestre une véritable symphonie des formes, un opéra d’objets, de matières et de récits. Après trois années de transformation, son pavillon des arts décoratifs et du design rouvre enfin au public le 13 septembre, dans une mise en scène savamment repensée.

Ce n’est pas une exposition. C’est un manifeste.


Plus de 800 œuvres et objets, répartis sur deux niveaux et 2 000 m², tissent un parcours thématique où les objets deviennent autant de jalons d’une mémoire collective. D’un fauteuil en forme de gant de baseball à une chaise en acrylique parsemée de roses artificielles, en passant par des aspirateurs, téléphones et pièces d’orfèvrerie du XVIIIe siècle, la sélection brasse large. Elle émeut, étonne, instruit.

Et au centre de cette polyphonie visuelle : Le Soleil de Dale Chihuly. Jadis gardien lumineux de la façade estivale du Musée, cette sculpture de verre soufflé composée de 1 200 vrilles, jaillit aujourd’hui du sol comme une explosion figée, suspendue dans l’instant. Elle n’éclaire plus de dehors, mais rayonne désormais au-dedans. Elle incarne à elle seule la mission du pavillon : faire briller ce qui fut souvent caché, utilitaire, invisible.


Le fil rouge de l’exposition pourrait bien être la chaise – cet objet à la fois banal et profondément symbolique. Un mur en est littéralement tapissé, surplombant les deux étages, tel un totem de modernité et d’obsession ergonomique. On y croise les lignes aériennes d’une chaise italienne des années 1960, les rondeurs transparentes d’une création de Shiro Kuramata, les contours rustiques mais rigoureux d’élèves de l’École du meuble de Montréal sous la tutelle d’Henri Beaulac, en pleine décennie 1940. Ce mur est plus qu’une composition graphique : il est une fresque sociale, une généalogie des postures, un hommage à la diversité des corps et des idées.

Le parcours du rez-de-chaussée, dédié à l’« expression de notre culture », commence par un lent glissement dans l’intimité du quotidien. Les meubles, textiles, objets de table ou bijoux révèlent leur charge émotionnelle : un service à déjeuner offert par Louis XVIII à son neveu, illustré de portraits de femmes illustres, peint par Jean Georget à Sèvres en 1814, dialogue avec les créations en argile de l’artiste contemporaine Hitomi Hosono. Chaque vitrine est un carrefour temporel.

« Le design est le miroir déformant de nos sociétés », explique Rachel Gotlieb, commissaire invitée et cheffe d’orchestre de cette réinstallation magistrale. « Il reflète nos valeurs, nos angoisses, nos désirs. Il traduit aussi notre rapport à la technologie, à la nature, à l’autre. »

Gotlieb, reconnue pour ses travaux sur la céramique et le design canadien, a opté pour une approche transhistorique. Le temps n’est plus linéaire, il se plie et se tord au gré des objets. Ainsi, un vélo de piste Marinoni ayant appartenu à Jocelyn Lovell côtoie un des tout premiers modèles de BIXI conçus par Michel Dallaire. D’un côté, la sueur et la performance ; de l’autre, la ville, le partage, le futur.

Le premier étage, consacré à l’innovation, joue les contrastes plus tranchés. Ici, une capsule de travail « Clipper CS-1 » de 1992, là, une motoneige Ski-Doo de 1961. Plus loin, un téléviseur sphérique Keracolor B1 des années 1960 semble échappé du plateau de 2001: L’Odyssée de l’espace. On y découvre aussi des objets plus quotidiens – aspirateurs, Macintosh 1984 – qui, sortis de leur usage, deviennent soudain archéologiques. Le design y est abordé dans sa fonctionnalité, mais aussi comme produit d’un contexte social, économique, voire géopolitique.

Une ligne du temps court le long des deux étages, telle une veine ouverte dans le béton du pavillon. Elle relie les objets aux grandes mutations mondiales : colonialisme, révolution industrielle, modernisme, mondialisation. L’objet n’est jamais neutre.


La réinstallation ne se contente pas d’exposer. Elle propose une immersion. Munis de leurs téléphones, les visiteurs peuvent écouter les récits des designers eux-mêmes : François Dallegret, Pascale Girardin, Zoë Mowat... Le geste de création est dévoilé, raconté, rendu humain. Mieux encore : des objets modélisés en 3D peuvent être manipulés virtuellement, tournés, scrutés. Une chaise devient ainsi une sculpture interactive ; un bijou, un mystère qu’on effleure du bout du doigt.

En parallèle, le MBAM multiplie les passerelles entre les disciplines. Une programmation culturelle riche – projections de films aux décors emblématiques, rencontres avec commissaires et designers, ateliers pour les familles – vient activer l’expérience muséale.


Fondée en 1916, la collection d’arts décoratifs du MBAM a vu son destin transformé par le legs monumental de Liliane et David M. Stewart au tournant des années 2000. Leurs 5 000 œuvres, issues du Musée des arts décoratifs de Montréal qu’ils avaient eux-mêmes fondé, ont permis d’ancrer Montréal comme capitale nord-américaine du design. Ville UNESCO du design depuis 2006, la métropole québécoise voit dans cette réouverture une confirmation de son rôle comme incubateur culturel, lieu d’échanges, d’utopies tangibles.

Ce pavillon repensé n’est pas une simple vitrine. Il est la démonstration que le design, loin d’être une question de luxe ou de tendance, est une affaire profondément humaine.

Dans une ère de consumérisme effréné et d’obsolescence programmée, cette exposition nous ramène à l’essence de l’objet. Elle nous invite à le regarder autrement : non plus comme simple outil, mais comme mémoire incarnée. Un miroir, une empreinte, un poème silencieux.

Le pavillon Liliane et David M. Stewart n’expose pas des meubles, des bijoux ou des téléphones. Il raconte des histoires. Celles de celles et ceux qui les ont façonnés. Celles de celles et ceux qui les ont utilisés, aimés, transmis.

Et au centre de tout cela, Le Soleil de Chihuly brille comme une promesse : celle que, dans la matière, subsiste la lumière.


Kurt Hentschläger et la nature recomposée : une méditation lumineuse sur la façade du MBAM

De la tombée du jour à 23 h, la façade du pavillon Hornstein du MBAM s’anime d’un souffle presque organique : EVER MORE, la nouvelle œuvre vidéo de Kurt Hentschläger, fusionne le réel et le simulé en une méditation lumineuse sur la nature à l’ère post-naturelle. Cinquième commande de la Toile numérique, cette installation monumentale prolonge la réflexion de l’artiste autrichien sur la perception et l’artificialité. Fleurs filmées, paysages 3D et pulsations lumineuses composent un écosystème hybride où le sublime se confond au synthétique. Entre émerveillement et inquiétude, Hentschläger fait vibrer la façade du musée comme une peau sensible de l’anthropocène.

Conversation avec Kurt Hentschläger

Le 3 décembre, à 18 h, Mary-Dailey Desmarais s'entretiendra avec l'artiste Kurt Hentschläger à propos de sa pratique et de sa nouvelle création pour la Toile numérique du Musée. À l'auditorium Maxwell-Cummings du MBAM. Entrée gratuite, sur réservation (dès le 19 novembre).


Dès ce 4 novembre 2025, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée d’art contemporain s’unissent pour une réflexion poignante sur notre époque avec Le confort et l’indifférence, écho contemporain au film visionnaire de Denys Arcand. Les œuvres acquises entre 2020 et 2025 par le MAC tissent un paysage esthétique où se confrontent quiétude et désenchantement. Vidéos, installations, et peintures sondent la tentation du repli face aux urgences climatiques, sociales et politiques. En revisitant l’héritage d’un Québec hésitant entre confort matériel et conscience collective, l’exposition interroge la capacité de l’art à secouer l’apathie et à rallumer la flamme fragile de l’empathie.

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LENA GHIO   

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Photos © LENA GHIO2025

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