CINEMANIA
translation app above HORAIRE DES REPRÉSENTATIONS 10 NOV. 18H30 Cinéma du Musée / 16 NOV. 17H30 Cinéma du Musée Acheter un billet
Aujourd’hui, on ralentit un peu le tempo. Parce que le film dont je veux vous parler, Rembrandt, signé Pierre Schoeller, parle justement de cela : du monde qui va trop vite, de nos machines qui tournent sans pause, et de cette question qu’on n’ose plus se poser : et si, à force d’accélérer, on s’était perdus en route ?
Schoeller, que l'on connaît pour Versailles ou L’Exercice de l’État, aime observer le pouvoir, les institutions et les systèmes qui nous dépassent. Cette fois, il pousse la réflexion encore plus loin, interrogeant la place de l'humain dans cette course effrénée.
Le film s'ouvre sur Claire, une ingénieure nucléaire brillante, incarnée par Camille Cottin. Elle forme, avec son mari Yves (joué par Romain Duris), un couple modèle : stabilité, réussite, belle maison, belle carrière. Un exemple de maîtrise de soi et du monde.
Mais un jour, lors d’une visite à la National Gallery de Londres, tout bascule. Devant trois toiles de Rembrandt, Claire reste figée. Son regard se brouille, comme si une brèche s’ouvrait dans sa vie réglée. C’est là que le film commence vraiment. Rembrandt, c’est la lumière et l’ombre. La clarté qu’on croit maîtriser, et l’obscurité qu’on préfère ignorer. Les tableaux du maître hollandais deviennent une puissante métaphore d'un monde qui échappe à notre contrôle, où la vie est fondamentalement lente, en unité avec les rythmes de la nature.
Claire constate alors le paradoxe de notre monde moderne, obsédé par la puissance, par la performance, par le « plus ». Plus d’énergie, plus de vitesse, plus de contrôle… Mais à quel prix ?
Pierre Schoeller n’a pas peur de la lenteur. Il filme les centrales nucléaires, les musées, les visages fatigués, avec la même attention. Chaque plan est une question. Et la grande interrogation du film est : Sommes-nous encore les auteurs de notre propre lumière ?
Le directeur photo Nicolas Loir réalise un travail sublime. Les images rappellent les clair-obscurs du maître : des couloirs d’entreprise baignés dans une lumière dorée, des mers galloises grises et vibrantes, et cette salle du musée, comme suspendue hors du temps. On a presque l’impression que la peinture respire. Ce moment de contemplation devient une faille dans la vie de Claire, et par extension, la nôtre. Celle d’une civilisation qui croit maîtriser la matière, mais ne maîtrise plus ses conséquences.
Dans son laboratoire, Claire observe les modèles climatiques : les vagues de chaleur, les tempêtes, les anomalies. Tout devient imprévisible. Ses collègues veulent rassurer et maintenir la routine, mais elle sent que quelque chose ne tourne plus rond.
Le film se mue alors en un thriller moral — non pas un thriller à explosion, mais un thriller intérieur. Comment vivre quand les certitudes vacillent ? Quand la science elle-même doute de son pouvoir ? Derrière cette angoisse, Schoeller tisse une autre histoire : celle du couple. Claire et Yves, unis par la raison, se retrouvent séparés par la révélation. L’amour, la confiance, tout est mis à l’épreuve, car lorsque la peur entre dans la maison, rien n’est plus tout à fait stable.
Mais attention : Rembrandt n’est pas un film à thèse. Ce n’est pas une charge contre le nucléaire (qui fournit plus de 65 % de l'énergie en France), ni une ode à la décroissance. C’est un film pro-conscience, pas pro-ou-anti. Il nous demande simplement : Et si cette sécurité n’était qu’une croyance ? Et si la vraie lumière, celle qu’on poursuit depuis des siècles, était devenue un mirage ?
Ce film est un miroir tendu à notre époque. Il montre les tours des centrales, les océans qui montent, les musées silencieux où le passé nous regarde. Et il ne nous dit pas quoi penser. Il nous dit : regardez. Regardez ce qui tremble, ce qui se fissure, ce qui continue pourtant à battre.
Camille Cottin est exceptionnelle, incarnant cette lucidité qui dérange sans grands cris ni discours militants, juste un regard qui s’ouvre. Romain Duris, lui, incarne l’ancrage rationnel, qui vacille peu à peu. Ensemble, ils sont l’image de notre monde : un pied dans la maîtrise, l’autre dans le doute. Au cœur de cette tension, Schoeller glisse le besoin d’art. Face à la peur, la beauté n'apporte pas le salut, mais elle éclaire. Rembrandt ne nous dit pas « tout ira bien ». Il nous dit : regarde la lumière, même quand elle tremble.
Alors oui, Rembrandt demande du temps. Il faut s’y abandonner. C’est un film lent, dense, exigeant. Il ne flatte pas le spectateur, il le convoque. C’est justement ce qu'on oublie aujourd'hui : prendre le temps d’être bousculé. De rester devant une image sans tout comprendre. D’écouter le silence d’une salle de musée comme une réponse en soi.
À la fin, le film ne ferme rien. Il laisse une question suspendue : Et si, dans ce monde d’urgence, ralentir était devenu un acte de résistance ?
Peut-être que la lumière que l’on cherche n’est pas dans nos réacteurs, mais dans nos regards. Et peut-être que le « syndrome Rembrandt », ce n’est pas une maladie, mais une guérison : celle d’une humanité qui redécouvre qu’avant de briller, il faut savoir voir.
Rembrandt, de Pierre Schoeller, avec Camille Cottin et Romain Duris — 1h47 d’un cinéma qui prend le risque du silence, de la beauté, et de la pensée. Un film qui ne cherche pas à plaire, mais à réveiller. Et franchement… il était temps.
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